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Le manifeste du parti communiste / Manifesto of the Communist Party — ĐœĐ° Ń„Ń€Đ°ĐœŃ†ŃƒĐ·ŃĐșĐŸĐŒ Đž Đ°ĐœĐłĐ»ĐžĐčсĐșĐŸĐŒ ŃĐ·Ń‹Đșах

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Karl Marx, Friedrich Engels

Le manifeste du parti communiste

Karl Marx, Frederick Engels

Manifesto of the Communist Party

Traduction par Laura Lafargue. F. Fetscherin et Chuit, 1886 (p. 296-345).

Translated: Samuel Moore in cooperation with Frederick Engels, 1888.

Un spectre hante l’Europe, le spectre du communisme. Toutes les puissances de la vieille Europe se sont unies en une Sainte-Alliance pour traquer ce spectre : le Pape et le Czar, Metternich et Guizot, les radicaux de France et les policiers d’Allemagne.

A spectre is haunting Europe — the spectre of communism. All the powers of old Europe have entered into a holy alliance to exorcise this spectre: Pope and Tsar, Metternich and Guizot, French Radicals and German police-spies.

Quelle est l’opposition qui n’a pas Ă©tĂ© accusĂ©e de communisme par ses adversaires au pouvoir ? Quelle est l’opposition qui, Ă  son tour, n’a pas relancĂ© Ă  ses adversaires de droite et de gauche l’épithĂšte flĂ©trissante de communiste ?

Where is the party in opposition that has not been decried as communistic by its opponents in power? Where is the opposition that has not hurled back the branding reproach of communism, against the more advanced opposition parties, as well as against its reactionary adversaries?

Deux choses ressortent de ces faits :

Two things result from this fact:

DĂ©jĂ  le communisme est reconnu par toutes les puissances d’Europe comme une puissance.

Communism is already acknowledged by all European Powers to be itself a Power.

— Il est grand temps que les communistes exposent Ă  la face du monde entier leur maniĂšre de voir, leur but et leurs tendances ; qu’ils opposent aux contes du spectre du communisme un manifeste du parti lui-mĂȘme.

It is high time that Communists should openly, in the face of the whole world, publish their views, their aims, their tendencies, and meet this nursery tale of the Spectre of Communism with a manifesto of the party itself.

Dans ce but, des communistes de diverses nationalités se sont réunis à Londres et ont rédigé le manifeste suivant, qui sera publié en anglais, français, allemand, italien, flamand et danois.

To this end, Communists of various nationalities have assembled in London and sketched the following manifesto, to be published in the English, French, German, Italian, Flemish and Danish languages.

I. Bourgeois et prolétaires

I. Bourgeois and Proletarians

L’histoire des sociĂ©tĂ©s n’a Ă©tĂ© que l’histoire des luttes de classes.

The history of all hitherto existing society is the history of class struggles.

Hommes libres et esclaves, patriciens et plébéiens, barons et serfs, maßtres de jurandes et compagnons en un mot, oppresseurs et opprimés, en opposition constante, ont mené une guerre ininterrompue, tantÎt ouverte, tantÎt dissimulée ; une guerre qui toujours finissait par une transformation révolutionnaire de la société tout entiÚre ou par la destruction des deux classes en lutte.

Freeman and slave, patrician and plebeian, lord and serf, guild-master and journeyman, in a word, oppressor and oppressed, stood in constant opposition to one another, carried on an uninterrupted, now hidden, now open fight, a fight that each time ended, either in a revolutionary reconstitution of society at large, or in the common ruin of the contending classes.

Dans les premiÚres époques historiques, nous rencontrons presque partout une division hiérarchique de la société, une échelle graduée de positions sociales. Dans la Rome antique, nous trouvons des patriciens, des chevaliers, des plébéiens et des esclaves ; au moyen ùge, des seigneurs, des vassaux, des maßtres, des compagnons et des serfs, et, dans chacune de ces classes, des gradations spéciales.

In the earlier epochs of history, we find almost everywhere a complicated arrangement of society into various orders, a manifold gradation of social rank. In ancient Rome we have patricians, knights, plebeians, slaves; in the Middle Ages, feudal lords, vassals, guild-masters, journeymen, apprentices, serfs; in almost all of these classes, again, subordinate gradations.

La sociĂ©tĂ© bourgeoise moderne, Ă©levĂ©e sur les ruines de la sociĂ©tĂ© fĂ©odale, n’a pas aboli les antagonismes de classes. Elle n’a fait que substituer aux anciennes de nouvelles classes, de nouvelles conditions d’oppression, de nouvelles formes de lutte.

The modern bourgeois society that has sprouted from the ruins of feudal society has not done away with class antagonisms. It has but established new classes, new conditions of oppression, new forms of struggle in place of the old ones.

Cependant, le caractĂšre distinctif de notre Ă©poque, de l’ùre de la Bourgeoisie, est d’avoir simplifiĂ© les antagonismes de classes. Elle n’a fait que substituer aux anciennes de nouvelles classes, de nouvelles conditions d’oppression, de nouvelles formes de lutte.
La société se divise de plus en plus en deux grands camps opposés, en deux classes ennemies : la Bourgeoisie et le Prolétariat.

Our epoch, the epoch of the bourgeoisie, possesses, however, this distinct feature: it has simplified class antagonisms. Society as a whole is more and more splitting up into two great hostile camps, into two great classes directly facing each other — Bourgeoisie and Proletariat.

Des serfs du moyen ùge naquirent les éléments des premiÚres communes ; de cette population municipale sortirent les éléments constitutifs de la Bourgeoisie.

From the serfs of the Middle Ages sprang the chartered burghers of the earliest towns. From these burgesses the first elements of the bourgeoisie were developed.

La dĂ©couverte de l’AmĂ©rique, la circumnavigation de l’Afrique, offrirent Ă  la bourgeoisie naissante de nouveaux champs d’action. Les marchĂ©s de l’Inde et de la Chine, la colonisation de l’AmĂ©rique, le commerce colonial, l’accroissement des moyens d’échange et des marchandises imprimĂšrent une impulsion extraordinaire au commerce, Ă  la navigation, Ă  l’industrie, et, par consĂ©quent, un dĂ©veloppement rapide Ă  l’élĂ©ment rĂ©volutionnaire de la sociĂ©tĂ© fĂ©odale en dissolution.

The discovery of America, the rounding of the Cape, opened up fresh ground for the rising bourgeoisie. The East-Indian and Chinese markets, the colonisation of America, trade with the colonies, the increase in the means of exchange and in commodities generally, gave to commerce, to navigation, to industry, an impulse never before known, and thereby, to the revolutionary element in the tottering feudal society, a rapid development.

L’ancien mode de production ne pouvait plus satisfaire aux besoins qui croissaient avec l’ouverture de nouveaux marchĂ©s. Le mĂ©tier entourĂ© de privilĂšges fĂ©odaux fut remplacĂ© par la manufacture. La petite bourgeoisie industrielle supplanta les maĂźtres de jurandes ; la division du travail entre les diffĂ©rentes corporations disparut devant la division du travail dans l’atelier mĂȘme.

The feudal system of industry, in which industrial production was monopolised by closed guilds, now no longer sufficed for the growing wants of the new markets. The manufacturing system took its place. The guild-masters were pushed on one side by the manufacturing middle class; division of labour between the different corporate guilds vanished in the face of division of labour in each single workshop.

Mais les marchĂ©s s’agrandissaient sans cesse et avec eux la demande. La manufacture Ă  son tour devint insuffisante : alors la machine et la vapeur rĂ©volutionnĂšrent la production industrielle. La grande industrie moderne supplanta la manufacture ; la petite bourgeoisie manufacturiĂšre cĂ©da la place aux industriels millionnaires, chefs d’armĂ©es de travailleurs, aux bourgeois modernes.

Meantime the markets kept ever growing, the demand ever rising. Even manufacturer no longer sufficed. Thereupon, steam and machinery revolutionised industrial production. The place of manufacture was taken by the giant, Modern Industry; the place of the industrial middle class by industrial millionaires, the leaders of the whole industrial armies, the modern bourgeois.

La grande industrie a créé le marchĂ© mondial, prĂ©parĂ© dĂ©jĂ  par la dĂ©couverte de l’AmĂ©rique. Le marchĂ© universel accĂ©lĂ©ra prodigieusement le dĂ©veloppement du commerce, de la navigation, de tous les moyens de communication.

Modern industry has established the world market, for which the discovery of America paved the way. This market has given an immense development to commerce, to navigation, to communication by land.

Ce dĂ©veloppement rĂ©agit Ă  son tour sur la marche de l’industrie, et Ă  mesure que l’industrie, le commerce, la navigation, les chemins de fer se dĂ©veloppaient, la Bourgeoisie grandissait, dĂ©cuplant ses capitaux et refoulant Ă  l’arriĂšre-plan les classes transmises par le moyen Ăąge.

This development has, in its turn, reacted on the extension of industry; and in proportion as industry, commerce, navigation, railways extended, in the same proportion the bourgeoisie developed, increased its capital, and pushed into the background every class handed down from the Middle Ages.

Nous voyons donc que la Bourgeoisie est elle-mĂȘme le produit d’une longue Ă©volution, d’une sĂ©rie de rĂ©volutions dans les modes de production et de communication.

We see, therefore, how the modern bourgeoisie is itself the product of a long course of development, of a series of revolutions in the modes of production and of exchange.

Chaque Ă©tape du dĂ©veloppement parcouru par la bourgeoisie Ă©tait accompagnĂ©e d’un progrĂšs politique correspondant.

Each step in the development of the bourgeoisie was accompanied by a corresponding political advance of that class.

État opprimĂ© par le despotisme fĂ©odal, association armĂ©e se gouvernant elle-mĂȘme dans la Commune ; ici rĂ©publique municipale, lĂ  tiers Ă©tat taxable de la monarchie ; puis, durant la pĂ©riode manufacturiĂšre, contrepoids de la noblesse dans les monarchies limitĂ©es ou absolues ; base principale des grandes monarchies, la bourgeoisie, depuis l’établissement de la grande industrie et du marchĂ© mondial, s’est enfin emparĂ©e du pouvoir politique, Ă  l’exclusion des autres classes, dans l’État reprĂ©sentatif moderne.

An oppressed class under the sway of the feudal nobility, an armed and self-governing association in the medieval commune: here independent urban republic (as in Italy and Germany); there taxable “third estate” of the monarchy (as in France); afterwards, in the period of manufacturing proper, serving either the semi-feudal or the absolute monarchy as a counterpoise against the nobility, and, in fact, cornerstone of the great monarchies in general, the bourgeoisie has at last, since the establishment of Modern Industry and of the world market, conquered for itself, in the modern representative State, exclusive political sway.

Le gouvernement moderne n’est qu’un comitĂ© administratif des affaires de la classe bourgeoise.

The executive of the modern state is but a committee for managing the common affairs of the whole bourgeoisie.

La bourgeoisie a jouĂ© dans l’histoire un rĂŽle essentiellement rĂ©volutionnaire.

The bourgeoisie, historically, has played a most revolutionary part.

Partout oĂč elle a conquis le pouvoir, elle a foulĂ© aux pieds les relations fĂ©odales, patriarcales et idylliques. Tous les liens multicolores qui unissaient l’homme fĂ©odal Ă  ses supĂ©rieurs naturels, elle les a brisĂ©s sans pitiĂ©, pour ne laisser subsister entre l’homme et l’homme d’autre lien que le froid intĂ©rĂȘt, que le dur argent comptant.

The bourgeoisie, wherever it has got the upper hand, has put an end to all feudal, patriarchal, idyllic relations. It has pitilessly torn asunder the motley feudal ties that bound man to his “natural superiors”, and has left remaining no other nexus between man and man than naked self-interest, than callous “cash payment”.

Elle a noyĂ© l’extase religieuse, l’enthousiasme chevaleresque, la sentimentalitĂ© du petit bourgeois, dans les eaux glacĂ©es du calcul Ă©goĂŻste. Elle a fait de la dignitĂ© personnelle une simple valeur d’échange ; elle a substituĂ© aux nombreuses libertĂ©s si chĂšrement conquises, l’unique et impitoyable libertĂ© du commerce.

It has drowned the most heavenly ecstasies of religious fervour, of chivalrous enthusiasm, of philistine sentimentalism, in the icy water of egotistical calculation. It has resolved personal worth into exchange value, and in place of the numberless indefeasible chartered freedoms, has set up that single, unconscionable freedom — Free Trade.

En un mot, Ă  la place de l’exploitation voilĂ©e par des illusions religieuses et politiques, elle a mis une exploitation ouverte, directe, brutale et Ă©hontĂ©e.

In one word, for exploitation, veiled by religious and political illusions, it has substituted naked, shameless, direct, brutal exploitation.

La bourgeoisie a dĂ©pouillĂ© de leur aurĂ©ole toutes les professions jusqu’alors rĂ©putĂ©es vĂ©nĂ©rables et vĂ©nĂ©rĂ©es avec crainte. Elle a fait du mĂ©decin, du juriste, du prĂȘtre, du poĂšte, du savant, des ouvriers salariĂ©s.

The bourgeoisie has stripped of its halo every occupation hitherto honoured and looked up to with reverent awe. It has converted the physician, the lawyer, the priest, the poet, the man of science, into its paid wage labourers.

La bourgeoisie a arrachĂ© le voile de poĂ©sie touchante, qui recouvrait les relations de famille, et les a ramenĂ©es Ă  n’ĂȘtre que de simples rapports d’argent.

The bourgeoisie has torn away from the family its sentimental veil, and has reduced the family relation to a mere money relation.

La bourgeoisie a dĂ©montrĂ© que la brutale manifestation de la force du moyen Ăąge, si admirĂ©e de la rĂ©action, se complĂ©tait naturellement par la plus crasse paresse. C’est elle qui, la premiĂšre, a prouvĂ© ce que peut accomplir l’activitĂ© humaine : elle a créé bien d’autres merveilles que les pyramides d’Egypte, les aqueducs romains et les cathĂ©drales gothiques ; elle a conduit bien d’autres expĂ©ditions que les antiques migrations de peuples et les croisades.

The bourgeoisie has disclosed how it came to pass that the brutal display of vigour in the Middle Ages, which reactionaries so much admire, found its fitting complement in the most slothful indolence. It has been the first to show what man’s activity can bring about. It has accomplished wonders far surpassing Egyptian pyramids, Roman aqueducts, and Gothic cathedrals; it has conducted expeditions that put in the shade all former Exoduses of nations and crusades.

La bourgeoisie n’existe qu’à la condition de rĂ©volutionner sans cesse les instruments de travail, par consĂ©quent le mode de production, par consĂ©quent tous les rapports sociaux.

The bourgeoisie cannot exist without constantly revolutionising the instruments of production, and thereby the relations of production, and with them the whole relations of society.

La conservation de l’ancien mode de production Ă©tait, au contraire, la premiĂšre condition d’existence de toutes les classes industrielles prĂ©cĂ©dentes. Ce bouleversement continuel des modes de production, ce constant Ă©branlement de tout le systĂšme social, cette agitation, cette insĂ©curitĂ© Ă©ternelles, distinguent l’époque bourgeoise de toutes les prĂ©cĂ©dentes.

Conservation of the old modes of production in unaltered form, was, on the contrary, the first condition of existence for all earlier industrial classes. Constant revolutionising of production, uninterrupted disturbance of all social conditions, everlasting uncertainty and agitation distinguish the bourgeois epoch from all earlier ones.

Tous les rapports sociaux traditionnels et profondĂ©ment enracinĂ©s, avec leur cortĂšge de croyances et d’idĂ©es admises depuis des siĂšcles se dissolvent ; les idĂ©es et les rapports nouveaux deviennent surannĂ©s avant de se cristalliser. Tout ce qui Ă©tait stable est Ă©branlĂ©, tout ce qui Ă©tait sacrĂ© est profanĂ©, et les hommes sont forcĂ©s enfin d’envisager leurs conditions d’existence et leurs relations mutuelles avec des yeux dĂ©sillusionnĂ©s.

All fixed, fast-frozen relations, with their train of ancient and venerable prejudices and opinions, are swept away, all new-formed ones become antiquated before they can ossify. All that is solid melts into air, all that is holy is profaned, and man is at last compelled to face with sober senses his real conditions of life, and his relations with his kind.

PoussĂ©e par le besoin d’un dĂ©bouchĂ© toujours plus Ă©tendu, la bourgeoisie envahit le globe entier. Il faut que partout elle s’implante, que partout elle s’établisse et crĂ©e des moyens de communication.

The need of a constantly expanding market for its products chases the bourgeoisie over the entire surface of the globe. It must nestle everywhere, settle everywhere, establish connexions everywhere.

Par l’exploitation du marchĂ© mondial, la bourgeoisie donne un caractĂšre cosmopolite Ă  la production et Ă  la consommation de tous les pays. Au dĂ©sespoir des rĂ©actionnaires, elle a enlevĂ© Ă  l’industrie sa base nationale.

The bourgeoisie has through its exploitation of the world market given a cosmopolitan character to production and consumption in every country. To the great chagrin of Reactionists, it has drawn from under the feet of industry the national ground on which it stood.

Les vieilles industries nationales sont dĂ©truites ou sur le point de l’ĂȘtre. Elles sont supplantĂ©es par de nouvelles industries dont l’introduction devient une question vitale pour toutes les nations civilisĂ©es ; industries qui n’emploient plus des matiĂšres premiĂšres indigĂšnes, mais des matiĂšres premiĂšres venues des rĂ©gions les plus Ă©loignĂ©es, et dont les produits se consomment non seulement dans le pays mĂȘme, mais dans tous les coins du globe.

All old-established national industries have been destroyed or are daily being destroyed. They are dislodged by new industries, whose introduction becomes a life and death question for all civilised nations, by industries that no longer work up indigenous raw material, but raw material drawn from the remotest zones; industries whose products are consumed, not only at home, but in every quarter of the globe.

À la place des anciens besoins satisfaits par les produits nationaux naissent de nouveaux besoins exigeant, pour leur satisfaction, les produits des contrĂ©es les plus lointaines et des climats les plus divers. À la place de l’ancien isolement local et national se dĂ©veloppe un trafic universel, une dĂ©pendance mutuelle des nations.

In place of the old wants, satisfied by the production of the country, we find new wants, requiring for their satisfaction the products of distant lands and climes. In place of the old local and national seclusion and self-sufficiency, we have intercourse in every direction, universal inter-dependence of nations.

Ce qui se passe dans la production matĂ©rielle se reproduit dans la production intellectuelle. Les productions intellectuelles d’une nation deviennent la propriĂ©tĂ© commune de toutes. L’exclusivisme et les prĂ©jugĂ©s nationaux deviennent de plus en plus impossibles ; et des diverses littĂ©ratures nationales et locales se forme une littĂ©rature universelle.

And as in material, so also in intellectual production. The intellectual creations of individual nations become common property. National one-sidedness and narrow-mindedness become more and more impossible, and from the numerous national and local literatures, there arises a world literature.

Par le rapide perfectionnement de tous les instruments de production et des moyens de communication, la bourgeoisie entraĂźne dans le courant de la civilisation jusqu’aux nations les plus barbares. Le bon marchĂ© de ses produits est sa grosse artillerie pour battre en brĂšche les murailles de Chine et faire capituler les barbares les plus hostiles aux Ă©trangers.

The bourgeoisie, by the rapid improvement of all instruments of production, by the immensely facilitated means of communication, draws all, even the most barbarian, nations into civilisation. The cheap prices of commodities are the heavy artillery with which it batters down all Chinese walls, with which it forces the barbarians’ intensely obstinate hatred of foreigners to capitulate.

Elle force toutes les nations, sous peine de mort, à adopter le mode de production bourgeois ; elle les force à introduire chez elles la soi-disant civilisation, c’est-à-dire à devenir bourgeoises. En un mot, elle modùle un monde à son image.

It compels all nations, on pain of extinction, to adopt the bourgeois mode of production; it compels them to introduce what it calls civilisation into their midst, i.e., to become bourgeois themselves. In one word, it creates a world after its own image.

La bourgeoisie a soumis la campagne Ă  la ville. Elle a bĂąti d’énormes citĂ©s ; elle a prodigieusement augmentĂ© la population des villes aux dĂ©pens de celle des campagnes ; et, par lĂ , elle a prĂ©servĂ© une grande partie de la population de l’idiotisme de la vie des champs.

The bourgeoisie has subjected the country to the rule of the towns. It has created enormous cities, has greatly increased the urban population as compared with the rural, and has thus rescued a considerable part of the population from the idiocy of rural life.

De mĂȘme qu’elle a subordonnĂ© la campagne Ă  la ville, les nations barbares et demi-civilisĂ©es, aux nations civilisĂ©es, de mĂȘme elle a subordonnĂ© les pays agricoles aux pays industriels, l’Orient Ă  l’Occident.

Just as it has made the country dependent on the towns, so it has made barbarian and semi-barbarian countries dependent on the civilised ones, nations of peasants on nations of bourgeois, the East on the West.

La bourgeoisie supprime de plus en plus l’éparpillement des moyens de production, de la propriĂ©tĂ© et de la population. Elle agglomĂšre les populations, centralise les moyens de production et concentre la propriĂ©tĂ© dans les mains de quelques individus, la consĂ©quence fatale de ces changements Ă©tait la centralisation politique.

The bourgeoisie keeps more and more doing away with the scattered state of the population, of the means of production, and of property. It has agglomerated population, centralised the means of production, and has concentrated property in a few hands. The necessary consequence of this was political centralisation.

Des provinces reliĂ©es entre elles seulement par des liens fĂ©dĂ©raux, ayant des intĂ©rĂȘts, des lois, des gouvernements, des tarifs douaniers diffĂ©rents, furent rĂ©unies en une seule nation, sous un seul gouvernement, une seule loi, un seul tarif douanier, un seul intĂ©rĂȘt national de classe.

Independent, or but loosely connected provinces, with separate interests, laws, governments, and systems of taxation, became lumped together into one nation, with one government, one code of laws, one national class-interest, one frontier, and one customs-tariff.

La bourgeoisie, depuis son avÚnement à peine séculaire, a créé des forces productives plus variées et plus colossales que toutes les générations passées prises ensemble.

The bourgeoisie, during its rule of scarce one hundred years, has created more massive and more colossal productive forces than have all preceding generations together.

La subjugation des forces de la nature, les machines, l’application de la chimie Ă  l’industrie et Ă  l’agriculture, la navigation Ă  vapeur, les chemins de fer, les tĂ©lĂ©graphes Ă©lectriques, le dĂ©frichement de continents entiers, la canalisation des riviĂšres, des populations entiĂšres surgissant comme par enchantement, — quel siĂšcle prĂ©cĂ©dent aurait jamais rĂȘvĂ© que de pareilles forces productrices dormaient dans le travail social !

Subjection of Nature’s forces to man, machinery, application of chemistry to industry and agriculture, steam-navigation, railways, electric telegraphs, clearing of whole continents for cultivation, canalisation of rivers, whole populations conjured out of the ground — what earlier century had even a presentiment that such productive forces slumbered in the lap of social labour?

Voici donc le rĂ©sumĂ© de ce que nous avons vu : les moyens de production et d’échange, servant de base Ă  l’évolution bourgeoise, sont créés dans le sein de la sociĂ©tĂ© fĂ©odale ;

We see then: the means of production and of exchange, on whose foundation the bourgeoisie built itself up, were generated in feudal society.

Ă  un certain degrĂ© du dĂ©veloppement de ces moyens de production et d’échange, les conditions dans lesquelles la sociĂ©tĂ© fĂ©odale produit et Ă©change ses produits, l’organisation fĂ©odale de l’industrie et de la manufacture, en un mot les rapports de la propriĂ©tĂ© fĂ©odale, cessent de correspondre aux nouvelles forces productrices. Ils entravent la production au lieu de la dĂ©velopper. Ils se changent en autant de chaĂźnes. Il faut les briser ; et ils se sont brisĂ©s.

At a certain stage in the development of these means of production and of exchange, the conditions under which feudal society produced and exchanged, the feudal organisation of agriculture and manufacturing industry, in one word, the feudal relations of property became no longer compatible with the already developed productive forces; they became so many fetters. They had to be burst asunder; they were burst asunder.

À leur place s’éleva la libre concurrence avec une constitution sociale et politique correspondante, avec la domination Ă©conomique et politique de la classe bourgeoise.

Into their place stepped free competition, accompanied by a social and political constitution adapted in it, and the economic and political sway of the bourgeois class.

Sous nos yeux, il se produit un phĂ©nomĂšne analogue. La sociĂ©tĂ© bourgeoise moderne, qui a mis en mouvement de si puissants moyens de production et d’échange ressemble Ă  ces magiciens qui ne savaient plus dominer les puissances infernales qu’ils avaient Ă©voquĂ©es.

A similar movement is going on before our own eyes. Modern bourgeois society, with its relations of production, of exchange and of property, a society that has conjured up such gigantic means of production and of exchange, is like the sorcerer who is no longer able to control the powers of the nether world whom he has called up by his spells.

Depuis trente ans, au moins, l’histoire de l’industrie et du commerce n’est que l’histoire de la rĂ©volte des forces productrices contre les rapports de production modernes, contre les rapports de propriĂ©tĂ© qui sont les conditions d’existence de la bourgeoisie et de sa suprĂ©matie.

For many a decade past the history of industry and commerce is but the history of the revolt of modern productive forces against modern conditions of production, against the property relations that are the conditions for the existence of the bourgeois and of its rule.

Il suffit de mentionner les crises commerciales qui, par le retour pĂ©riodique, mettent de plus en plus en question l’existence de la sociĂ©tĂ© bourgeoise. Chaque crise dĂ©truit rĂ©guliĂšrement, non seulement une masse de produits dĂ©jĂ  créés, mais encore une grande partie des forces productrices elles-mĂȘmes.

It is enough to mention the commercial crises that by their periodical return put the existence of the entire bourgeois society on its trial, each time more threateningly. In these crises, a great part not only of the existing products, but also of the previously created productive forces, are periodically destroyed.

Une Ă©pidĂ©mie s’abat sur la sociĂ©tĂ©, qui, aux Ă©poques prĂ©cĂ©dentes, eĂ»t semblĂ© un paradoxe, c’est l’épidĂ©mie de la surproduction. La sociĂ©tĂ© se trouve subitement rejetĂ©e dans un Ă©tat de barbarie momentanĂ©e : on dirait qu’une famine, qu’une guerre d’extermination lui enlĂšve tous ses moyens de vie : l’industrie et le commerce semblent annihilĂ©s. — Et pourquoi. — Parce que la sociĂ©tĂ© a trop de civilisation, trop de moyens de subsistance, trop d’industrie, trop de commerce.

In these crises, there breaks out an epidemic that, in all earlier epochs, would have seemed an absurdity — the epidemic of over-production. Society suddenly finds itself put back into a state of momentary barbarism; it appears as if a famine, a universal war of devastation, had cut off the supply of every means of subsistence; industry and commerce seem to be destroyed; and why? Because there is too much civilisation, too much means of subsistence, too much industry, too much commerce.

Les forces productrices dont elle dispose, n’assurent plus les conditions de la propriĂ©tĂ© bourgeoise ; au contraire, elles sont devenues trop puissantes pour ces conditions, qui deviennent des entraves ; et toutes les fois que les forces productrices sociales brisent les entraves, elles prĂ©cipitent dans le dĂ©sordre la sociĂ©tĂ© tout entiĂšre et menacent l’existence de la propriĂ©tĂ© bourgeoise.

The productive forces at the disposal of society no longer tend to further the development of the conditions of bourgeois property; on the contrary, they have become too powerful for these conditions, by which they are fettered, and so soon as they overcome these fetters, they bring disorder into the whole of bourgeois society, endanger the existence of bourgeois property.

Le systĂšme bourgeois est devenu trop Ă©troit pour contenir les richesses créées dans son sein. Comment la bourgeoisie surmonte-t-elle ces crises ? D’une part, par la destruction forcĂ©e d’une masse de forces productrices ; d’autre part, par la conquĂȘte de nouveaux marchĂ©s et l’exploitation plus parfaite des anciens. C’est-Ă -dire qu’elle prĂ©pare des crises plus gĂ©nĂ©rales et plus terribles et rĂ©duit les moyens de les prĂ©venir.

The conditions of bourgeois society are too narrow to comprise the wealth created by them. And how does the bourgeoisie get over these crises? On the one hand by enforced destruction of a mass of productive forces; on the other, by the conquest of new markets, and by the more thorough exploitation of the old ones. That is to say, by paving the way for more extensive and more destructive crises, and by diminishing the means whereby crises are prevented.

Les armes dont la bourgeoisie s’est servie pour abattre la fĂ©odalitĂ© se retournent aujourd’hui contre la bourgeoisie elle-mĂȘme.

The weapons with which the bourgeoisie felled feudalism to the ground are now turned against the bourgeoisie itself.

Mais la bourgeoisie n’a pas seulement forgĂ© les armes qui doivent lui donner la mort ; elle a aussi produit les hommes qui doivent les manier — les ouvriers modernes, les ProlĂ©taires.

But not only has the bourgeoisie forged the weapons that bring death to itself; it has also called into existence the men who are to wield those weapons — the modern working class — the proletarians.

Avec le dĂ©veloppement de la bourgeoisie, c’est-Ă -dire du capital, se dĂ©veloppe le ProlĂ©tariat, la classe des ouvriers modernes, qui ne vivent qu’à la condition de trouver du travail et qui n’en trouvent plus dĂšs que leur travail cesse d’agrandir le capital. Les ouvriers, obligĂ©s de se vendre au jour le jour, sont une marchandise comme tout autre article du commerce ; ils subissent par consĂ©quent, toutes les vicissitudes de la concurrence, toutes les fluctuations du marchĂ©.

In proportion as the bourgeoisie, i.e., capital, is developed, in the same proportion is the proletariat, the modern working class, developed — a class of labourers, who live only so long as they find work, and who find work only so long as their labour increases capital. These labourers, who must sell themselves piecemeal, are a commodity, like every other article of commerce, and are consequently exposed to all the vicissitudes of competition, to all the fluctuations of the market.

L’introduction des machines et la division du travail ont dĂ©pouillĂ© le travail de l’ouvrier de son caractĂšre individuel et par suite de son attrait.

Owing to the extensive use of machinery, and to the division of labour, the work of the proletarians has lost all individual character, and, consequently, all charm for the workman.

Le producteur devient un simple rouage de la machine et on n’exige de lui qu’une opĂ©ration simple, monotone et vite apprise. Il s’ensuit que les frais de production de l’ouvrier se rĂ©duisent aux dĂ©penses de sa subsistance et de la propagation de sa race.

He becomes an appendage of the machine, and it is only the most simple, most monotonous, and most easily acquired knack, that is required of him. Hence, the cost of production of a workman is restricted, almost entirely, to the means of subsistence that he requires for maintenance, and for the propagation of his race.

Le prix du travail, comme celui de toute autre marchandise, est Ă©gal au coĂ»t de sa production. Donc, plus le travail devient rĂ©pugnant plus les salaires baissent. Bien plus, la somme de travail s’accroĂźt avec le dĂ©veloppement de la machine et de la division du travail, soit par la prolongation de la journĂ©e de travail, soit par l’accroissement de l’intensitĂ© du travail, soit par l’accĂ©lĂ©ration du mouvement des machines.

But the price of a commodity, and therefore also of labour, is equal to its cost of production. In proportion, therefore, as the repulsiveness of the work increases, the wage decreases. Nay more, in proportion as the use of machinery and division of labour increases, in the same proportion the burden of toil also increases, whether by prolongation of the working hours, by the increase of the work exacted in a given time or by increased speed of machinery, etc.

L’industrie moderne a transformĂ© le petit atelier de l’ancien patron patriarcal en la grande fabrique du bourgeois capitaliste. Des masses d’ouvriers, entassĂ©s dans la fabrique, sont organisĂ©es militairement. TraitĂ©s comme des soldats industriels, ils sont placĂ©s sous la surveillance d’une hiĂ©rarchie complĂšte d’officiers et de sous-officiers.

Modern Industry has converted the little workshop of the patriarchal master into the great factory of the industrial capitalist. Masses of labourers, crowded into the factory, are organised like soldiers. As privates of the industrial army they are placed under the command of a perfect hierarchy of officers and sergeants.

Ils ne sont pas seulement les esclaves de la classe bourgeoise, du gouvernement bourgeois, mais encore, journellement et Ă  toute heure, les esclaves de la machine, du contre-maĂźtre et surtout du maĂźtre de fabrique. Ce despotisme est d’autant plus mesquin, plus odieux et plus exaspĂ©rant qu’il prend ouvertement le profit pour but unique.

Not only are they slaves of the bourgeois class, and of the bourgeois State; they are daily and hourly enslaved by the machine, by the overlooker, and, above all, by the individual bourgeois manufacturer himself. The more openly this despotism proclaims gain to be its end and aim, the more petty, the more hateful and the more embittering it is.

Moins le travail exige d’habiletĂ© et de force, c’est-Ă -dire plus l’industrie moderne progresse, plus le travail des femmes est substituĂ© Ă  celui des hommes. Les distinctions d’ñge et de sexe n’ont plus de signification sociale pour la classe ouvriĂšre. Il n’y a plus que des instruments de travail dont le prix varie d’aprĂšs l’ñge et le sexe.

The less the skill and exertion of strength implied in manual labour, in other words, the more modern industry becomes developed, the more is the labour of men superseded by that of women. Differences of age and sex have no longer any distinctive social validity for the working class. All are instruments of labour, more or less expensive to use, according to their age and sex.

Quand l’ouvrier a subi l’exploitation du fabricant et qu’il a reçu son salaire en argent comptant, il devient alors la proie d’autres membres de la bourgeoisie, du petit propriĂ©taire, du petit boutiquier, du prĂȘteur sur gages.

No sooner is the exploitation of the labourer by the manufacturer, so far, at an end, that he receives his wages in cash, than he is set upon by the other portions of the bourgeoisie, the landlord, the shopkeeper, the pawnbroker, etc.

La petite bourgeoisie, composĂ©e de petits industriels, de marchands, de petits rentiers, d’artisans et de paysans propriĂ©taires, tombe dans le ProlĂ©tariat ; d’une part, parce que leurs petits capitaux ne leur permettant pas d’employer les procĂ©dĂ©s de la grande industrie, ils succombent dans leur concurrence avec les grands capitalistes ; d’autre part, parce que leur habiletĂ© spĂ©ciale est dĂ©prĂ©ciĂ©e par les nouveaux modes de production. De cette maniĂšre, le ProlĂ©tariat se recrute dans toutes les classes de la population.

The lower strata of the middle class — the small tradespeople, shopkeepers, and retired tradesmen generally, the handicraftsmen and peasants — all these sink gradually into the proletariat, partly because their diminutive capital does not suffice for the scale on which Modern Industry is carried on, and is swamped in the competition with the large capitalists, partly because their specialised skill is rendered worthless by new methods of production. Thus the proletariat is recruited from all classes of the population.

Le ProlĂ©tariat passe par diffĂ©rentes phases d’évolution. Sa lutte contre la bourgeoisie commence dĂšs sa naissance.

The proletariat goes through various stages of development. With its birth begins its struggle with the bourgeoisie.

D’abord la lutte est engagĂ©e par des ouvriers isolĂ©s, puis par les ouvriers d’une mĂȘme fabrique, ensuite par les ouvriers du mĂȘme mĂ©tier dans une localitĂ© contre le bourgeois qui les exploite directement.

At first the contest is carried on by individual labourers, then by the workpeople of a factory, then by the operative of one trade, in one locality, against the individual bourgeois who directly exploits them.

Ils ne se contentent pas de diriger leurs attaques contre le mode bourgeois de production, ils les dirigent contre les instruments de production : ils dĂ©truisent les marchandises Ă©trangĂšres qui leur font concurrence, brisent les machines, brĂ»lent les fabriques et s’efforcent de reconquĂ©rir les conditions perdues d’artisans du moyen Ăąge.

They direct their attacks not against the bourgeois conditions of production, but against the instruments of production themselves; they destroy imported wares that compete with their labour, they smash to pieces machinery, they set factories ablaze, they seek to restore by force the vanished status of the workman of the Middle Ages.

À ce moment du dĂ©veloppement, le ProlĂ©tariat forme une masse dissĂ©minĂ©e sur tout le pays et dĂ©sunie par la concurrence. Si parfois les ouvriers agissent en masse plus ou moins compactes, cette action n’est pas encore ce rĂ©sultat de leur propre union, mais de celle de la bourgeoisie qui, pour atteindre ses propres fins politiques, est obligĂ©e de mettre en mouvement le ProlĂ©tariat tout entier et qui, pour le moment, possĂšde encore le pouvoir.

At this stage, the labourers still form an incoherent mass scattered over the whole country, and broken up by their mutual competition. If anywhere they unite to form more compact bodies, this is not yet the consequence of their own active union, but of the union of the bourgeoisie, which class, in order to attain its own political ends, is compelled to set the whole proletariat in motion, and is moreover yet, for a time, able to do so.

Ce qui caractĂ©rise cette phase de leur dĂ©veloppement historique, c’est que les prolĂ©taires ne combattent pas encore leurs ennemis Ă  eux, mais les ennemis de leurs ennemis, c’est-Ă -dire les restes de la monarchie absolue, les propriĂ©taires fonciers, les bourgeois non industriels et les petits bourgeois. Tout le mouvement historique est dirigĂ© par la bourgeoisie, toute victoire remportĂ©e dans ces conditions est une victoire bourgeoise.

At this stage, therefore, the proletarians do not fight their enemies, but the enemies of their enemies, the remnants of absolute monarchy, the landowners, the non-industrial bourgeois, the petty bourgeois. Thus, the whole historical movement is concentrated in the hands of the bourgeoisie; every victory so obtained is a victory for the bourgeoisie.

Mais le dĂ©veloppement de l’industrie, non seulement grossit le nombre des prolĂ©taires, mais les concentre en masses plus considĂ©rables : ils acquiĂšrent des forces et acquiĂšrent la conscience de ces forces.

But with the development of industry, the proletariat not only increases in number; it becomes concentrated in greater masses, its strength grows, and it feels that strength more.

Les intĂ©rĂȘts, les conditions d’existences des prolĂ©taires s’égalisent de plus en plus, Ă  mesure que la machine efface toute diffĂ©rence dans le travail et rĂ©duit presque partout le salaire Ă  un niveau Ă©galement bas.

The various interests and conditions of life within the ranks of the proletariat are more and more equalised, in proportion as machinery obliterates all distinctions of labour, and nearly everywhere reduces wages to the same low level.

La croissante concurrence des bourgeois entre eux et les crises commerciales qui en rĂ©sultent rendent les salaires de plus en plus incertains ; l’incessant perfectionnement des machines rend la position de l’ouvrier de plus en plus prĂ©caire ; les collisions individuelles entre l’ouvrier et le bourgeois prennent de plus en plus le caractĂšre de collisions de deux classes.

The growing competition among the bourgeois, and the resulting commercial crises, make the wages of the workers ever more fluctuating. The increasing improvement of machinery, ever more rapidly developing, makes their livelihood more and more precarious; the collisions between individual workmen and individual bourgeois take more and more the character of collisions between two classes.

Les ouvriers commencent par se coaliser contre les bourgeois pour le maintien de leurs salaires. Ils forment mĂȘme des associations permanentes, afin d’ĂȘtre prĂȘts pour des luttes Ă©ventuelles. Çà et lĂ , la rĂ©sistance devient Ă©meute.

Thereupon, the workers begin to form combinations (Trades’ Unions) against the bourgeois; they club together in order to keep up the rate of wages; they found permanent associations in order to make provision beforehand for these occasional revolts. Here and there, the contest breaks out into riots.

Parfois les ouvriers triomphent ; mais leur triomphe est momentané. Le véritable résultat de leurs luttes est moins le succÚs immédiat, que la solidarité croissante des ouvriers.

Now and then the workers are victorious, but only for a time. The real fruit of their battles lies, not in the immediate result, but in the ever expanding union of the workers.

Cette solidarisation est facilitĂ©e par l’accroissement des moyens de communications, qui permettent aux ouvriers de localitĂ©s diffĂ©rentes d’entrer en relations. Il ne reste plus qu’à les unir pour transformer ces luttes, qui revĂȘtent partout le mĂȘme caractĂšre, en une lutte nationale, en une lutte de classes.

This union is helped on by the improved means of communication that are created by modern industry, and that place the workers of different localities in contact with one another. It was just this contact that was needed to centralise the numerous local struggles, all of the same character, into one national struggle between classes.

Mais toute lutte de classes est une lutte politique. Et l’union que les bourgeois du moyen Ăąge mettaient des siĂšcles Ă  Ă©tablir avec leurs chemins vicinaux, les prolĂ©taires modernes l’établissent en quelques annĂ©es avec les chemins de fer.

But every class struggle is a political struggle. And that union, to attain which the burghers of the Middle Ages, with their miserable highways, required centuries, the modern proletarian, thanks to railways, achieve in a few years.

L’organisation du prolĂ©tariat en classe et par suite en parti politique est sans cesse dĂ©truite par la concurrence que les ouvriers se font entre eux. Mais elle renaĂźt toujours, et toujours plus forte, plus ferme, plus puissante. En profitant des divisions intestines des bourgeois, elle les oblige Ă  garantir lĂ©galement certains intĂ©rĂȘts de la classe ouvriĂšre : par exemple, la loi de dix heures de travail en Angleterre.

This organisation of the proletarians into a class, and, consequently into a political party, is continually being upset again by the competition between the workers themselves. But it ever rises up again, stronger, firmer, mightier. It compels legislative recognition of particular interests of the workers, by taking advantage of the divisions among the bourgeoisie itself. Thus, the ten-hours’ bill in England was carried.

Les divisions de la sociĂ©tĂ© favorisent de diffĂ©rentes maniĂšres le dĂ©veloppement du prolĂ©lariat. La bourgeoisie vit dans un Ă©tat de guerre perpĂ©tuelle ; d’abord contre l’aristocratie, puis contre cette catĂ©gorie de la bourgeoisie dont les intĂ©rĂȘts entrent en contradiction avec les progrĂšs de l’industrie, toujours enfin contre la bourgeoisie des pays Ă©trangers.

Altogether collisions between the classes of the old society further, in many ways, the course of development of the proletariat. The bourgeoisie finds itself involved in a constant battle. At first with the aristocracy; later on, with those portions of the bourgeoisie itself, whose interests have become antagonistic to the progress of industry; at all time with the bourgeoisie of foreign countries.

Dans toutes ces luttes elle est obligĂ©e de faire appel au prolĂ©tariat, d’user de son concours et de l’entraĂźner ainsi dans le mouvement politique. Par consĂ©quent la bourgeoisie fournit au prolĂ©tariat les Ă©lĂ©ments de son progrĂšs, c’est-Ă -dire des armes contre la bourgeoisie.

In all these battles, it sees itself compelled to appeal to the proletariat, to ask for help, and thus, to drag it into the political arena. The bourgeoisie itself, therefore, supplies the proletariat with its own elements of political and general education, in other words, it furnishes the proletariat with weapons for fighting the bourgeoisie.

De plus, ainsi que nous venons de le voir, des parties constituantes de la classe dominante sont rejetĂ©es tout entiĂšres dans le prolĂ©tariat par le progrĂšs industriel, ou sont menacĂ©es dans leurs conditions d’existence. Elles apportent au prolĂ©tariat de nombreux Ă©lĂ©ments de progrĂšs.

Further, as we have already seen, entire sections of the ruling class are, by the advance of industry, precipitated into the proletariat, or are at least threatened in their conditions of existence. These also supply the proletariat with fresh elements of enlightenment and progress.

En dernier lieu, au moment oĂč la lutte des classes approche de sa crise, le mouvement de dissolution de la classe rĂ©gnante et de la sociĂ©tĂ© tout entiĂšre prend un caractĂšre si aigu et si violent, qu’une fraction de la classe rĂ©gnante s’en dĂ©tache, se rallie Ă  la classe rĂ©volutionnaire, Ă  la classe qui reprĂ©sente l’avenir.

Finally, in times when the class struggle nears the decisive hour, the progress of dissolution going on within the ruling class, in fact within the whole range of old society, assumes such a violent, glaring character, that a small section of the ruling class cuts itself adrift, and joins the revolutionary class, the class that holds the future in its hands.

Autrefois une partie de la noblesse se rangea du cÎté de la bourgeoisie, de nos jours une partie de la bourgeoisie fait cause commune avec le prolétariat, principalement cette partie de la bourgeoisie pensante qui est parvenue à comprendre les lois et la marche du mouvement historique.

Just as, therefore, at an earlier period, a section of the nobility went over to the bourgeoisie, so now a portion of the bourgeoisie goes over to the proletariat, and in particular, a portion of the bourgeois ideologists, who have raised themselves to the level of comprehending theoretically the historical movement as a whole.

De toutes les classes actuellement adversaires de la bourgeoisie, le prolétariat seul est la classe vraiment révolutionnaire. Les autres classes se désagrÚgent et disparaissent par le fait de la grande industrie ; le prolétariat, au contraire, est son produit particulier.

Of all the classes that stand face to face with the bourgeoisie today, the proletariat alone is a really revolutionary class. The other classes decay and finally disappear in the face of Modern Industry; the proletariat is its special and essential product.

La classe moyenne, les petits fabricants, les dĂ©taillants, les artisans, les paysans, luttent contre la bourgeoisie parce qu’elle compromet leur existence en tant que classe moyenne. Par consĂ©quent, ils ne sont pas rĂ©volutionnaires, mais conservateurs. Qui plus est, ils sont rĂ©actionnaires, ils s’efforcent de faire rebrousser chemin Ă  l’histoire.

The lower middle class, the small manufacturer, the shopkeeper, the artisan, the peasant, all these fight against the bourgeoisie, to save from extinction their existence as fractions of the middle class. They are therefore not revolutionary, but conservative. Nay more, they are reactionary, for they try to roll back the wheel of history.

S’ils agissent rĂ©volutionnairement, c’est par la crainte toujours prĂ©sente de tomber dans le prolĂ©tariat ; ils dĂ©fendent alors leurs intĂ©rĂȘts futurs, et non leurs intĂ©rĂȘts actuels ; ils renoncent Ă  leur propre point de vue pour se placer Ă  celui du prolĂ©tariat.

If by chance, they are revolutionary, they are only so in view of their impending transfer into the proletariat; they thus defend not their present, but their future interests, they desert their own standpoint to place themselves at that of the proletariat.

La voyoucratie des grandes villes, cette lie putréfiée des derniÚres couches de la société, est ça et là entraßnée dans le mouvement par une révolution prolétarienne ; mais ses conditions de vie la prédisposent au contraire à se vendre à la réaction.

The “dangerous class”, [lumpenproletariat] the social scum, that passively rotting mass thrown off by the lowest layers of the old society, may, here and there, be swept into the movement by a proletarian revolution; its conditions of life, however, prepare it far more for the part of a bribed tool of reactionary intrigue.

Les conditions d’existence de la vieille sociĂ©tĂ© sont dĂ©jĂ  dĂ©truites dans les conditions d’existence du prolĂ©tariat. Le prolĂ©taire est sans propriĂ©tĂ© ; ses relations de famille n’ont rien de commun avec celles de la famille bourgeoise. Le travail industriel moderne, qui implique l’asservissement de l’ouvrier par le capital, de mĂȘme en France qu’en Angleterre, qu’en AmĂ©rique qu’en Allemagne, a dĂ©pouillĂ© le prolĂ©taire de tout caractĂšre national.

In the condition of the proletariat, those of old society at large are already virtually swamped. The proletarian is without property; his relation to his wife and children has no longer anything in common with the bourgeois family relations; modern industry labour, modern subjection to capital, the same in England as in France, in America as in Germany, has stripped him of every trace of national character.

Les lois, la morale, la religion, sont pour lui autant de prĂ©jugĂ©s bourgeois, derriĂšre lesquels se cachent autant d’intĂ©rĂȘts bourgeois.

Law, morality, religion, are to him so many bourgeois prejudices, behind which lurk in ambush just as many bourgeois interests.

Toutes les classes antĂ©rieures qui ont conquis le pouvoir ont essayĂ© de consolider leur situation acquise en soumettant la sociĂ©tĂ© tout entiĂšre Ă  leur propre mode d’appropriation.

All the preceding classes that got the upper hand sought to fortify their already acquired status by subjecting society at large to their conditions of appropriation.

Les prolĂ©taires ne peuvent s’emparer des forces productrices sociales qu’en abolissant leur propre mode d’appropriation et, par suite, le mode d’appropriation en vigueur jusqu’à nos jours. Les prolĂ©taires n’ont pas Ă  se prĂ©occuper de garanties pour une propriĂ©tĂ© qui leur fait dĂ©faut, ils ont au contraire Ă  dĂ©truire toute garantie privĂ©e existante.

The proletarians cannot become masters of the productive forces of society, except by abolishing their own previous mode of appropriation, and thereby also every other previous mode of appropriation. They have nothing of their own to secure and to fortify; their mission is to destroy all previous securities for, and insurances of, individual property.

Tous les mouvements historiques ont Ă©tĂ©, jusqu’ici, des mouvements de minoritĂ©s au profit de minoritĂ©s. Le mouvement prolĂ©tarien est le mouvement spontanĂ© de l’immense majoritĂ© au profit de l’immense majoritĂ©.

All previous historical movements were movements of minorities, or in the interest of minorities. The proletarian movement is the self-conscious, independent movement of the immense majority, in the interest of the immense majority.

Le prolĂ©tariat, derniĂšre couche de la sociĂ©tĂ© officielle, ne peut s’élever sans bouleverser toutes les couches supĂ©rieures de cette sociĂ©tĂ©.

The proletariat, the lowest stratum of our present society, cannot stir, cannot raise itself up, without the whole superincumbent strata of official society being sprung into the air.

La lutte du prolĂ©tariat contre la bourgeoisie, bien qu’elle ne soit pas au fond une lutte nationale, en revĂȘt cependant la forme. Le prolĂ©tariat de chaque pays doit commencer par en finir avec sa propre bourgeoisie.

Though not in substance, yet in form, the struggle of the proletariat with the bourgeoisie is at first a national struggle. The proletariat of each country must, of course, first of all settle matters with its own bourgeoisie.

En esquissant Ă  grands traits les phases du dĂ©veloppement prolĂ©tarien, nous avons suivi pas Ă  pas l’histoire de la guerre civile plus ou moins occulte qui dĂ©chire la sociĂ©tĂ©, jusqu’au moment oĂč Ă©clate en une rĂ©volution et que le prolĂ©tariat impose sa domination par l’écrasement de la bourgeoisie.

In depicting the most general phases of the development of the proletariat, we traced the more or less veiled civil war, raging within existing society, up to the point where that war breaks out into open revolution, and where the violent overthrow of the bourgeoisie lays the foundation for the sway of the proletariat.

Toutes les sociĂ©tĂ©s antĂ©rieures, nous venons de le voir, ont reposĂ© sur l’antagonisme de la classe oppressive et de la classe opprimĂ©e. Mais pour pouvoir opprimer une classe, il faut au moins lui garantir les conditions d’existence qui lui permettent de vivre en esclave.

Hitherto, every form of society has been based, as we have already seen, on the antagonism of oppressing and oppressed classes. But in order to oppress a class, certain conditions must be assured to it under which it can, at least, continue its slavish existence.

Le serf, en pleine fĂ©odalitĂ©, parvenait Ă  se faire membre de la Commune ; le bourgeois embryonnaire du moyen Ăąge atteignait la position de bourgeois, sous le joug de l’absolutisme fĂ©odal.

The serf, in the period of serfdom, raised himself to membership in the commune, just as the petty bourgeois, under the yoke of the feudal absolutism, managed to develop into a bourgeois.

L’ouvrier moderne, au contraire, au lieu de s’élever avec le progrĂšs de l’industrie, descend toujours plus bas, au-dessous mĂȘme du niveau des conditions vitales de sa propre classe. Le travailleur tombe Ă  la charge de la sociĂ©tĂ©, et le paupĂ©risme s’accroĂźt plus rapidement encore que la population et la richesse.

The modern labourer, on the contrary, instead of rising with the process of industry, sinks deeper and deeper below the conditions of existence of his own class. He becomes a pauper, and pauperism develops more rapidly than population and wealth.

Il est donc manifeste que la bourgeoisie est incapable de remplir le rĂŽle de classe rĂ©gnante et d’imposer Ă  la sociĂ©tĂ©, comme loi suprĂȘme, les conditions d’existence de sa classe. Elle ne peut plus rĂ©gner, parce qu’elle ne peut plus assurer l’existence Ă  son esclave, mĂȘme dans les conditions de son esclavage, parce qu’elle est obligĂ©e de le laisser tomber dans une situation si prĂ©caire qu’elle doit le nourrir au lieu d’en ĂȘtre nourri. La sociĂ©tĂ© ne peut plus exister sous sa domination, ce qui revient Ă  dire que son existence est dĂ©sormais incompatible avec celle de la sociĂ©tĂ©.

And here it becomes evident, that the bourgeoisie is unfit any longer to be the ruling class in society, and to impose its conditions of existence upon society as an over-riding law. It is unfit to rule because it is incompetent to assure an existence to its slave within his slavery, because it cannot help letting him sink into such a state, that it has to feed him, instead of being fed by him. Society can no longer live under this bourgeoisie, in other words, its existence is no longer compatible with society.

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